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22 novembre 2023

Ventes aux enchères : la joaillerie contemporaine a-t-elle sa place ? 

Les ventes au marteau ne sont plus réservées aux bijoux anciens et vintage, empreints d’une longue histoire. On y trouve désormais de la joaillerie contemporaine, des bijoux flambant neufs qui n’ont jamais appartenu à personne.

Sandrine Merle.

 

 

Le 6 novembre dernier à Genève, la maison Phillips a organisé une vente aux enchères dans laquelle figurait une dizaine de bijoux neufs, créés par sept marques dont les designers sont encore bien vivants. Silvia Furmanovich et Margaret Jewels (par Oriana Melamed Sabrier et Candice Ophir) ont été lancées au début des années 2000. La marque Dries Criel est née en 2007 tandis que Maison Alix Dumas et Viltier (par Thomas Montier Leboucher et Iris de la Villardière, à peine trentenaires), ont vu le jour il y a trois ans.

 

Est-ce le rôle d’une maison de vente aux enchères ?

Pour Benoît Repellin, directeur du département bijoux de Phillips, « présenter des bijoux contemporains fait partie de l’ADN de notre maison qui, dans le passé, a lancé nombre d’artistes du XXe et du XXIe. » De son côté Violaine d’Astorg, directrice du département bijoux de Christie’s Paris, estime que « en tant que leader sur le marché, notre devoir est de présenter la nouvelle génération à nos clients. Ce sont les noms qu’ils collectionneront demain. » Mais on le sait bien, il s’agit aussi d’une stratégie marketing. Magali Teisseire, leur homologue chez Sotheby’s Paris, confirme : « ça permet de séduire les clients de la nouvelle génération de joailliers et vice versa. »

 

Une aubaine pour les joailliers

« Participer à la vente de Phillips m’a donné une visibilité dans le monde entier, de Londres à Hong Kong en passant par Singapour et Taipei », se réjouit Alix Dumas. Il s’agit également pour les joailliers d’un nouveau canal de vente alors que les boutiques traditionnelles et les grands magasins sont saturés face à l’afflux de nouvelles marques. Et ces joailliers gagnent aussi en prestige à côtoyer des noms mythiques comme Cartier, Van Cleef & Arpels, Bulgari, Sterlé, etc. Dans son catalogue, Céline Rose David, experte bijoux chez Million Belgique, a d’ailleurs juxtaposé la bague de la créatrice Pamela Hastry pour Morphée et la broche du grand Wiese, datant du XIXe siècle. Presque aussi bien que de partager une vitrine au musée !

 

Faire aussi bien que JAR…

Les plus jeunes rêvent de la trajectoire de JAR, premier créateur vivant à avoir eu un bijou aux enchères en 1984, chez Christie’s New York. « La paire de boucles d’oreilles avait été achetée par un client quelques jours auparavant pour son épouse qui ne les avait pas appréciées, se souvient François Curiel président de Christie’s Europe. Estimées USD 8-10 000, elles ont atteint USD 16 500. JAR reste le seul joaillier vivant dont le prix aux enchères peut dépasser le prix d’achat et qui détient des records. Pour les autres, le succès est rarement au rendez-vous. » Ils ne trouvent pas forcément preneur ou font des estimations basses (comme récemment les boucles d’oreilles de Margaret ou de Silvia Furmanovich chez Phillips). Une bonne publicité pour personne…

 

Pourquoi le succès est-il rarement au rendez-vous ?

Dans les ventes de Paris et de Genève, les bijoux aussi beaux soient-ils, sont généralement des pièces de moyenne joaillerie, faciles à porter et relativement accessibles. Elles ne convoquent ni savoir-faire rarissime, ni pierre d’exception. Ce dont raffolent les collectionneurs… En plus, les créateurs, généralement européens, ne sont pas internationalement connus et aucune intense promotion n’est faite sur leur histoire ou leur ADN. À la différence de l’Asie où la joaillerie contemporaine, quand elle est extraordinaire, atteint des prix stratosphériques. Ainsi, Anna Hu a décroché le record mondial du joaillier contemporain précédemment détenu par JAR et le prix d’enchère le plus élevé par carat pour un saphir birman.

 

Bien conscient des difficultés pour vendre cette joaillerie contemporaine, la maison Sotheby’s ouvre une nouvelle voie : mettant à profit la notoriété de ses prestigieuses ventes d’art contemporain en novembre à New-York, elle a dévoilé au même moment des bijoux à prix fixes. Des bijoux réalisés par le jeune brésilien Fernando Jorge, spécialement pour elle. Une rupture avec le concept initial de vente aux enchères et une nouvelle stratégie pour faire connaître cette joaillerie contemporaine qui le mérite.

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