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12 février 2023

Thomas Torroni-Levene et les archives de René Boivin

Enfin ! Les archives de la maison René Boivin réapparaissent après avoir alimenté bien des fantasmes. Thomas Torroni-Levene nous raconte.

 

 

Sandrine Merle. Qui êtes-vous et dans quelles circonstances, en 2019, votre grand-père grand négociant en pierres a-t-il acquis les archives si convoitées de René Boivin ?

Thomas Torroni-Levene. Mon grand-père connaissait depuis longtemps Nathalie Choay, la personne qui les détenait. Elle est entrée en leur possession lorsqu’elle a racheté René Boivin à Asprey en 1999. Petit flashback : quelques années auparavant, le propriétaire d’Asprey, le frère du sultan du Brunei, avait acquis René Boivin auprès d’un des anciens chefs d’atelier de Cartier devenu actionnaire, puis propriétaire. Malgré toutes ces péripéties depuis 1985, les archives étaient restées intactes ! Nathalie Choay était très attachée au devenir de René Boivin.

 

S.-M. De quoi ces archives, dont certains ont parfois douté de l’existence, sont-elles exactement constituées ?

Thomas Torroni-Levene. C’est colossal : nous avons tous les livres de stock et de comptabilité, les carnets d’inspiration de toutes les époques y compris ceux de Mr Boivin, environ 20.000 dessins, des carnets de commande, les caisses journalières, toute la correspondance des années 1900-1920 aux années 60, les plâtres, les maquettes. Sans compter les livres d’atelier du début des années 1930 à 1965 ! Et de nombreuses photos de bijoux anciens exceptionnels, sans doute fabriqués entre autres pour Mellerio et Boucheron. Car à l’origine René Boivin avait l’ambition de devenir un énorme fabricant sous-traitant en rachetant des ateliers dotés des meilleures mains comme des meilleurs outils de production. À sa mort soudaine, à seulement 53 ans, son épouse Jeanne change de cap et embauche une dessinatrice : Suzanne Belperron.

 

Le phénomène Belperron

 

S.-M. Qu’allez-vous faire de ces archives ?

Thomas Torroni-Levene. Aujourd’hui presque toutes les personnes ayant été en relation avec la maison – à l’époque de Jeanne Boivin et ses filles – ont disparu, les archives sont nos seuls témoins. Elles offrent une opportunité unique de définir clairement l’ADN nourri par les dessinatrices successives : Suzanne Belperron, Juliette Moutard, Caroline de Brosses mais aussi Sylvie Vilein, Marie-Christine de Lamaze (qui a créé l’épée d’académicien de Maurice Rheims) et Ghislaine d’Entremont que l’on oublie trop souvent. En ce moment, Juliet de la Rochefoucauld passe 100% de son temps à les décrypter pour écrire le livre prévu pour 2025. Elle va très loin en remontant par exemple la généalogie de chaque créatrice. Enfin on connaîtra l’histoire factuelle de René Boivin car le seul ouvrage existant à ce jour est incomplet et approximatif sur bien des points.

 

S.-M. D’ores et déjà, pouvez-vous nous livrer quelques découvertes étonnantes ?

Thomas Torroni-Levene. C’est encore un peu tôt mais, promis on les partagera avec vous. On peut pour l’instant affirmer que, contrairement à ce que disait le seul livre existant, Suzanne Belperron n’a pas été un épiphénomène dans la maison, elle n’a pas été qu’une petite vendeuse. On a 4 à 5 000 dessins incontestablement réalisés par elle… Ce qui prouve aussi qu’elle n’est pas partie avec.

 

S.-M. Ces archives font de vous l’expert officiel de René Boivin ?

Thomas Torroni-Levene. Ces archives me permettent de mettre en place une nouvelle certification. À mon sens et de façon générale, un expert sans archives ne peut pas être un bon expert car l’intuition et les livres ne suffisent pas. En plus, j’ai formé un comité avec deux autres personnes aux connaissances complémentaires : ainsi il ne pourra plus y avoir sur le marché de pièce « dans le goût de René Boivin ». Absolument toutes seront certifiées sur la base d’éléments probants, poinçon de maître, plâtre, dessin ou encore nom dans un carnet de commande.

 

S.-M. Dans ce comité René Boivin se trouve Olivier Baroin, expert et propriétaire des archives de Suzanne Belperron. Vous collaborez étroitement avec lui ?

Thomas Torroni-Levene. Logiquement Olivier Baroin a été amené à travailler sur l’histoire de René Boivin, il a notamment rencontré Caroline de Brosses aujourd’hui disparue. Il a souhaité me transmettre ses informations ce qui me permet d’être plus rapide et plus efficace dans le décryptage des archives. L’organisation ayant été établie à l’époque de Suzanne Belperron, par conséquent c’est la même que pour les siennes. Nous échangeons pendant des heures, jour et nuit ou presque, sur tous les aspects : humain, technique, etc. Avec la découverte de ces archives, on aurait pu penser que nous allions entrer en discorde sur les attributions mais, non. René Boivin a eu énormément de chance d’avoir Suzanne Belperron. Et quand on parle de René Boivin, on parle toujours d’elle, l’inverse n’est pas vrai.

 

Olivier Baroin, l’expert de Belperron

 

S.-M. Vous êtes à la recherche de pièces d’exception signées de la maison. Allez-vous relancer cette très belle endormie ?

Thomas Torroni-Levene. Qu’on se le dise : nous recherchons en effet des pièces ayant marqué l’histoire de la maison, où qu’elles soient dans le monde, pour les photographier et les faire figurer dans le livre. En parallèle, nous construisons une collection patrimoniale que nous prêterons pour des expositions ou que nous montrerons peut-être un jour dans notre éventuel show-room parisien. Quant à relancer la maison, il est encore bien trop tôt pour l’affirmer !

 

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