Business

17 juillet 2020

« Il est temps de changer ! », l’étude de MAD Network

L’étude passionnante réalisée par l’agence de conseil MAD Network examine l’impact de la crise post-Covid sur le marché du luxe secteur par secteur. La partie consacrée à joaillerie est intitulée « Il est temps de changer ! » Tout un programme…

Par Sandrine Merle.

 

 

MAD Network, agence de conseil co-fondée par Delphine Vitry (ancienne de LVMH) et Jean Révis, a réalisé cette étude auprès de 45 grandes maisons européennes, de distributeurs en Chine et aux Etats-Unis. Elle est découpée en quatre parties traitant notamment de la mode, du travel retail, de la beauté ou encore de la joaillerie. Plutôt que de la livrer in extenso, j’ai extrait des pistes pouvant aider à la réflexion stratégique pour marques (quelque soit leur taille), créateurs et lecteurs soucieux de suivre l’évolution du marché.

 

La joaillerie a énormément souffert

« C’est sans conteste le segment du luxe qui a le plus souffert de la crise », affirme l’étude en s’appuyant sur les chiffres de ventes des grands groupes. Et de donner les résultats de Richemont ou encore de LVMH du premier trimestre 2020, en chute libre, avec -26% pour la joaillerie contre -17% au global pour le groupe. « Attention, cette situation est avant tout la conséquence d’une crise sanitaire et non pas une remise en question du business model », nuance Delphine Vitry.

 

Rattraper son retard sur le digital

La joaillerie a d’autant plus souffert que le taux de pénétration de l’e-commerce était de 7 à 8% en 2019 contre 20% pour la beauté et 12% pour le luxe global. « Au-delà du e-commerce, l’accélération du digital est indispensable » : en communication, le retard a aussi été flagrant alors que les live sales (ventes filmées) se sont multipliées dans d’autres secteurs. Dans les faits, les joailliers sont restés discrets exceptés Van Cleef & Arpels et Bulgari : sur Instagram, Bulgari a par exemple proposé une masterclass de la directrice artistique Lucia Silvestri. Restent qu’ils adhèrent encore peu aux partenariats croisés avec d’autres univers, aux chats ou aux présentations live.

 

Toujours plus de personnalisation

La digitalisation doit aussi permettre de rattraper un retard dans la collecte des données relatives aux clients afin de mieux les connaître et mieux répondre à leurs attentes. Il faut les privilégier, les chouchouter, leur envoyer des mails personnalisés, leur proposer des expériences uniques et des produits exclusifs, voire les traiter en one-to-one. L’étude de MAD Network conseille de s’inspirer des techniques du vendeur de haute joaillerie, « un exemple absolument fascinant de personnalisation de la relation client » : en effet, celui-ci sait traiter ses VIC (Very Important Customers) comme de véritables amis.

 

Accélérer le « Direct-To-Consumer » 

Détaillants, multimarques et concept-stores ont été extrêmement affaiblis. Barney’s, célèbre department storeaméricain, a même fait faillite ! L’étude de MAD Network confirme que ce mode de distribution (encore 30% des ventes en joaillerie et 90% en horlogerie) est en forte décroissance à l’inverse du retail, réseau de boutiques en propre. Si le retail permet d’être en contact direct avec les clients, le ticket d’entrée s’avère exorbitant : seuls les plus grands (Cartier, Van Cleef & Arpels, etc.) sont capables de mettre en place un réseau pour « mailler » des territoires aussi vastes que les US ou la Chine. Et encore : pour toucher les villes chinoises comme Chengdu, Wuhan, Guangzhou… où vit 60% de la classe moyenne chinoise, le groupe Richemont a mis au point TimeVallée, un concept de boutiques regroupant plusieurs de ses marques.

 

Rajeunir sa clientèle

L’étude rappelle que « l’âge moyen de la clientèle des grands joailliers dépasse souvent 35-40 ans, âge moyen bien plus élevé que celui de la clientèle du luxe en général. » Il faut donc la rajeunir, attirer la Gen-Z ! Autre nécessité : fidéliser les clients car toujours selon l’étude, « les maisons réalisent chaque année une forte part de leurs ventes avec de nouveaux clients. » Un des moyens préconisés : les séduire en adaptant l’offre aux goûts selon l’âge, la zone géographique avec des collections plus accessibles, des pièces exceptionnelles, des boutiques moins intimidantes, etc. Un exercice complexe, voire schizophrénique.

 

Ne plus compter sur les touristes chinois !

Mauvaise nouvelle, a priori : « le client chinois restera le premier client du luxe pour les 5 ans à venir mais il va concentrer ses dépenses dans son pays sous la pression du gouvernement. » Les maisons devront donc aller chercher d’autres leviers de croissance comme la clientèle locale, très délaissée ces dernières années. Même si elle ne suffira jamais à compenser la perte sachant qu’avant la crise, les clients européens ont eu une contribution négative de 20% environ au marché du luxe ! Autre piste de l’étude de MAD Network : développer le pre-owned, c’est-à-dire la vente de pièces anciennes que monopolisent aujourd’hui les maisons de vente aux enchères ou des pure players comme Collector Square.

 

« Personne ne bouge sans contrainte », conclue Delphine Vitry. L’audace et la créativité sont aujourd’hui devenues des nécessités !

 

Vidéo en bannière : Masterclass at home – By Bulgari with Lucia Silvestri

 

Article relatif à ce sujet :

Le marché de l’horlogerie et de la bijouterie en France, en 2019

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